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La Recherche · Les sources

Comment étudier les manières de s'alimenter au Moyen Âge ?

Les recherches sur les façons de s'alimenter dans l'Histoire sont très récentes. Elles sont l'aboutissement d'un processus d'élargissement de l'éventail des thèmes historiques traités dans la profession, qui a lieu dans la seconde moitié du XXᵉ siècle. Des auteurs comme Jean-Louis Flandrin innovent en s'intéressant à des questions jusque là annexes, concernant la famille, la sexualité, ou les mœurs alimentaires. Auparavant considérés comme des sujets secondaires, folkloriques, ces thèmes acquièrent ainsi toute leur respectabilité, et sont désormais considérés à juste titre comme de véritables entrées pour l'étude des mœurs, des mentalités, et de la société médiévale dans sa globalité. L'ouverture à ces thèmes nouveaux est accompagnée d'une ouverture aux disciplines voisines de l'Histoire, avec lesquelles elle peut dialoguer, et qui lui fournissent de nombreux et nouveaux points d'appuis (éléments complémentaires, méthodes de travail....). Ainsi par exemple, l'étude de l'histoire de l'alimentation est corroborée par des études anthropologiques, ethnologiques, sociologiques, d'histoire de l'art...


L'étude des mœurs alimentaires et de la cuisine durant la période médiévale est conditionnée par la relative rareté des sources (éléments d'époque quels qu'ils soient permettant l'étude historique). Il faut prendre en considération que le Moyen Âge est une période extrêmement longue, et surtout très hétérogène. On ne vit pas de la même façon au VIIᵉ siècle et au XIVᵉ, on ne cultive ni ne prépare de la même manière, et on ne laisse pas les mêmes traces. Il est par exemple évident que nous disposons d'un nombre d'écrits bien plus important pour le Moyen Âge Central et le Bas Moyen Âge que pour le tout début de la période, tout simplement parce que les mœurs ne sont pas les mêmes, et que la tradition orale prévaut encore sur le document écrit, très rarement utilisé. De même, les sources qui par chance nous parviennent sont le plus souvent fragmentaires, abîmées. Elles sont la partie émergée et bien infime d'un iceberg que nous ne connaitrons sans doute jamais.


De quels types de sources pouvons-nous disposer?

Les sources textuelles :

Elles sont le type de source auquel on pense en tout premier lieu. Elles sont souvent les plus riches d'informations, car elles sont explicites. Toutefois, il faut garder en tête qu'au Moyen Âge elles ne sont pas encore aussi courantes qu'elles ne le seront à l'époque Moderne. La société médiévale garde jusqu'au XVᵉ siècle une tradition orale bien ancrée et encore prévalente sur l'écrit. On note cependant, et surtout à partir de l'an Mil, une multiplication certaine des écrits, qui servent directement ou indirectement l'étude des habitudes alimentaires et de la cuisine. Nous pouvons en effet chercher notre bonheur dans un éventail d'écrits très large.

Un exemple de source textuelle : l'inventaire des biens de Catherine et Jean d'Albret au château de Nérac (Lot-et-Garonne, France), en 1502. Sont répertoriés et cités un par un les aliments et surtout les épices contenus dans le garde-manger. Plus loin, on trouve la liste des ustensiles présents dans la cuisine au moment de l'inventaire.

 

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Il existe un autre type de source écrite fondamental, qui rassemble tous les types de comptes, de registres, de listes, qu'ils émanent d'une institution publique ou d'un cadre privé, contenant des aliments et des denrées consommables. Par exemple, l'inventaire des biens d'un château (les occasions sont multiples, déménagement, décès...), le recensement des produits qui entrent dans une ville pour y être vendus, les comptes d'une cour ou d'un hôtel bourgeois qui se fait approvisionner en produits de table... Tous ces documents consistent en une liste d'aliments, souvent accompagnés de la mesure de leur quantité, et de leur prix. Elles sont donc inestimables pour la connaissance des aliments les plus utilisés, des aliments rares, et de la répartition sociale qui en était faite.

Les autres sources écrites qui peuvent être utilisées le sont de manière beaucoup plus indirecte. Elles contiennent un petit nombre d'informations qui ne sont pas le sujet principal du document. On peut par exemple citer les testaments, qui n'ont pas pour vocation propre de lister des aliments (ils recensent plutôt les objets d'une quelconque valeur) mais qui mentionnent également parfois les stocks de denrées les plus importants (céréales...). Ce type de document peut davantage servir à la connaissance des mœurs des petites gens.

Il en va de même pour les sources littéraires, qui contiennent de multiples informations sur les manières de s'alimenter, sans pour autant que ce soit leur but. Les romans, les chroniques, les poèmes parfois, regorgent de petits détails passionnants.

​Les sources iconographiques :

​Si les textes nous sont indispensables pour connaître le vocabulaire de la cuisine, les mesures et le prix des denrées, il n'est cependant rien de mieux que de voir représentés les aliments, les gestes, pour se figurer véritablement une réalité passée. Il se trouve que les enluminures les plus diverses ainsi que de nombreux tableaux ou fresques nous parlent directement ou indirectement de cet aspect si essentiel de la vie de l'homme médiéval. Les calendriers enluminés décrivant les travaux saisonniers par exemple, ou encore les scènes d'intérieur représentant une cuisine (elles peuvent appartenir à des œuvres très diverses, comme par exemple une annonciation) sont les meilleurs témoignages qui puissent nous aider à imaginer la forme des ustensiles, des meubles de rangement, des pièces, et même les gestes pratiqués.

Un exemple de source iconographique : une enluminure tirée du Tacuinum Sanitatis (traité diététique du XVᵉ siècle), montrant l'organisation d'un foyer. On en tire de nombreux renseignements sur la configuration des lieux, les ustensiles utilisés, et l'identité des cuisiniers, ou des cuisinières en l’occurrence.

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Les sources archéologiques :

Elles viennent compléter un panorama déjà bien ébauché. Elles fournissent plusieurs types de renseignements. Les plus évidents concernent les ustensiles, que l'on retrouve en grand nombre lors des fouilles. Des pots, des outils, des meubles de rangement, émergent à nouveau après plus de 700 ans de sommeil pour nous parler des méthodes de fabrication, et de l'usage qui en était fait. On commence également à pratiquer ce que l'on appelle des fouilles archéo-zoologiques, qui consistent en l'extraction d'ossements animaux, et en l'étude de ceux-ci pour découvrir quelles étaient les tendances de consommation selon les régions (davantage de porc, de bœuf, de gibier...). On peut également étudier très précisément les sols, ainsi que les restes végétaux qu'ils contiennent, comme les pollens. On peut ainsi établir quels types de cultures étaient pratiqués et à quels endroits. Enfin, l'archéologie du bâti, qui étudie les édifices encore en élévation, nous permet d'observer la répartition des pièces dans la maison, l'existence ou non d'une cuisine, et les infrastructures qu'elle comporte (évier, puits, foyer, cheminée...).

Un exemple de source archéologique : les restes du four à pain de briques du château de Montaner (Pyrénées-Atlantiques, France), encastré dans le mur.

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Armé de tous ces petits éléments, l'historien ou le passionné peut patiemment assembler les pièces d'un puzzle émietté par tant de siècles. C'est un exercice difficile, car il lui faut utiliser de nombreux types de sources différents, les faire se croiser et se compléter, et ensuite les faire parler grâce à son imagination. Il s'approche ainsi au plus près possible de la vérité historique et des Hommes qui la peuplaient.

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